La Vénus exposée à Caumont, un vulgaire faux ?

Aix-en-Provence

Le tableau, acheté par le prince du Liechtenstein et exposé au Centre d’art depuis novembre, a été saisi mardi par l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels. En question : l’authenticité de cette huile de 1531

Faits divers - Justice - La Vénus exposée à Caumont, un vulgaire faux ?

C’était l’une des oeuvres phares de la très courue exposition des Collections du prince de Liechtenstein. Une petite huile sur bois de 38 cm sur 24. Et le tout premier tableau que les visiteurs pouvaient admirer, exposé au centre de la première salle de l’hôtel de Caumont : sur fond noir, une grande silhouette gracile, surmonté d’un visage poupin aux yeux en amande. Une nonchalance mâtinée d’impudeur à laquelle les Aixois s’étaient habitués, puisque la Vénus de Cranach affichait aussi sa douce nudité sur la couverture du catalogue de l’expo et les oriflammes tendues cours Mirabeau pour promettre l’une des plus fabuleuses collections privées en art ancien. Et c’était à voir à Aix.

Reste que mardi, en tout début d’après-midi et en pleine exposition, des visiteurs inattendus se sont invités à l’hôtel de Caumont pour décrocher discrètement cette huile attribuée à Lucas Cranach l’ancien, pièce d’une vaste production de nus féminins que l’on doit au peintre de la Renaissance allemande. La saisie par les enquêteurs de l’OCBC de l’oeuvre clé de l’exposition aixoise, en vue d’une expertise, n’en finit pas de faire du bruit dans le Landerneau artistique…

Un faux ? Ce nu délicat dont l’on pavoise jusqu’aux autobus aixois ! Une vulgaire copie ? Jusque-là, il semblait établi que cette huile datait de 1531, réalisée par le peintre à Wittenberg, quand il résidait à la cour de Saxe, auprès du prince électeur, Frédéric II le Sage. Depuis début novembre, des milliers de visiteurs l’ont admirée, à peine embarrassés devant cette nudité que ne cache pas un voile transparent déplié par la Vénus. Et dont l’authenticité se trouve aujourd’hui remise en question. Une information judiciaire a été ouverte en 2015 au tribunal de grande instance de Paris, après une plainte anonyme contestant l’authenticité de l’oeuvre. Une enquête préliminaire avait d’abord été menée sur la base de cette dénonciation évoquant même plusieurs faux concernant des peintres différents.

Le tableau a été acquis auprès d’une galerie britannique réputée

« Le tableau a été acquis en 2013 par les Collections princières auprès de Colnaghi, une galerie britannique réputée et a été authentifié par les plus grands experts, reconnus comme les spécialistes de l’oeuvre de Cranach », nous indiquait hier Me Rémi Sermier, avocat du prince du Liechtenstein. Dès lors, au lendemain de cette saisie pour le moins… inattendue, opérée par la justice française, « les Collections princières ont été surprises de cette saisie précédée d’aucun échange entre les services d’enquête et les Collections princières, alors qu’elles sont en relations étroites et anciennes avec toutes les grandes institutions culturelles françaises et qu’elles ont prêté gracieusement des centaines d’oeuvres, notamment pour l’exposition d’Élisabeth Vigée-Lebrun au Grand Palais », à Paris, ajoutait Rémi Sermier, évoquant un historique de coopération étroite avec les grandes institutions culturelles françaises. Bref, le prince de Liechstentein, c’est tout sauf un propriétaire quelconque…

La Collection Liechtenstein (qui reste l’une des plus grandes collections d’art privée d’Europe) s’est constitué partie civile dans le dossier et va coopérer avec la justice française, précisaient encore Me Rémi Sermier et Éric Morain, autre avocat du prince Hans-Adam II. Des expertises ont été ordonnées par la juge d’instruction et devraient être réalisées sur ce tableau dans les mois à venir, vraisemblablement par le Centre de restauration des musées de France, sur ce tableau exposé en France pour la toute première fois et qui exhibe désormais une tout autre part de mystère…

Consolons-nous. Si la Vénus de Cranach a été embarquée par les gendarmes, on peut encore voir à Caumont Centre d’art jusqu’au 28 mars une quarantaine de peintures et aquarelles des plus grands maîtres (Rubens, Raphaël, Rembrandt, Massys, Vernet…), appartenant à cette collection qui rassemble des chef-d’oeuvre de l’art occidental.


Policiers et gendarmes « de l’art » traquent les faux mais aussi les voleurs, les receleurs…

Cinq tableaux de Camille Corot dérobés en 1984 et retrouvés, pour quatre d’entre eux en 1987, au Japon où ils ont été achetés par des collectionneurs. « Impression Soleil levant » signé Claude Monet, disparu entre 1985 et 1990 et retrouvé en Corse, à Porto-Vecchio. « L’enfant à la bulle de savon » de Rembrandt, volé à Draguignan en 1999 et retrouvé quinze ans plus tard à Nice. Autant de faits d’armes de l’OCBC, l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels. Voilà quarante ans, que les enquêteurs de cette unité traquent les voleurs et les receleurs en tout genre. Et si l’OCBC, créé en 1975, est compétent en matière de vol et de recel de vol de biens de toute nature et de toute époque ayant une valeur artistique ou historique, l’OCBC est également chargé depuis 2009 de la répression de la contrefaçon artistique. Aujourd’hui, cette équipe d’une trentaine de membres, des gendarmes et des policiers aux connaissances pointues en matière d’art et de patrimoine, est chargée de plusieurs missions :

– la répression, en menant des enquêtes et sur instruction des magistrats. L’office s’appuie également sur des correspondants affectés en services régionaux de police judiciaire et sections de recherches de gendarmerie ;

– la documentation. Une base d’imagerie existe, recensant les biens culturels volés sur le territoire national ainsi que des trésors nationaux circulant illicitement ;

– la prévention, auprès de partenaires comme le ministère de la Culture, mais aussi auprès des professionnels du marché de l’art (assureurs, syndicats d’antiquaires, association de particuliers…). L’office travaille également en partenariat avec les Douanes, les ministères de la Justice et des Affaires étrangères ;

– la formation, via des stages destinés aux enquêteurs français et aux policiers étrangers ;

– la coopération internationale : bureau central national pour les objets culturels dans le cadre d’Interpol, l’OCBC est aussi l’autorité centrale pour la France concernant la circulation illicite des trésors nationaux entre les États membres de l’Union européenne.

Séverine Pardini-Battesti

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